Les artistes dialoguent à travers les siècles et Kennedy Yanko s’inscrit dans une longue tradition picturale et sculpturale. Elle se distingue pour son invention de paint skins, littéralement “peaux de peinture”, le jeu de mots en moins, qui accomplissent la grande ambition de nombreux artistes : telle une alchimiste, transformer la matière picturale en une matière sculpturale. La technique consiste à déverser des centaines de litres de peinture et les laisser sécher durant plusieurs semaines. L’artiste peut alors la manipuler telle un tissu et au prix de nombreux efforts physiques, maîtriser la matière pour en faire de grands drapés qui se solidifient au contact de l’air.
Ses concrétions de peintures habillent des éléments de métal malmené, écrasé, déchiré. Le contraste est puissant, la dureté du cuivre ou de l’acier contre la souplesse de la peinture, la rugosité face au velouté, le tortueux, le courbe, l’étrange et l’évident. Si Yanko s’inscrit dans une histoire contemporaine de la sculpture d’une manière évidente : de John Chamberlain à Frank Stella (qui exprime son admiration pour son travail), des papiers découpés de Matisse aux fils de laine dans l’espace de Fred Sandback, j’y vois un dialogue éloquent avec la peinture maniériste du début du XVIe siècle. Kennedy Yanko joue de reliefs, de contrastes de couleurs intermédiaires : des parmes, des orangés, des mauves... de lignes sinueuses, de déséquilibres apparents, de porte-à-faux qui renforcent l’instabilité, la fragilité, mais aussi la grâce et la virtuosité de ses sculptures telles les Sibylle de la chapelle Sixtine. La relation de Yanko à la philosophie et à la spiritualité cultivée depuis le plus jeune âge, ses lectures de Rudolf Steiner, Lucille Clifton... la rapprochent volontiers de la portée divinatoire surnaturelle des prêtresses d’Apollon. Kennedy Yanko est à la fois la peintre et le sujet, la prométhée et la sybille, la puissance créatrice et la prophétesse.
— Alexandre Devals